Ephash Ephash
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Le mois dernier, se tenait la fête annuelle de la ville d’Aigre et je crus bon d’y emmener ma petite fille, dont ses parents me confièrent la garde pour un week-end, profitant ainsi d’un repos bien mérité. La gamine étant devenue épileptique, suite à une consommation effrénée de divertissements débilitants, comme il en pullule désormais sur les applications dont sont dotés les téléphones portables, j’avais pour consigne de ne l’exposer sous aucun prétexte à un écran ou tout autre dispositif diffusant une lumière artificielle, pour ne pas entraver son sevrage. Il faut dire que cette pauvre enfant se mettait désormais à baver au moindre scintillement d’un néon et j’ai d’ailleurs crains les prémisses d’une crise, sur le trajet en voiture jusqu’à Aigre, où sa respiration sifflante, me rappelait celle qu’avait Dark Vador en échangeant ses derniers mots avec son fils Luke, à la fin du film Le Retour du Jedi. En grand-père prévoyant, j’avais recouvert les sièges de ma Mondéo avec une bâche, pour éviter que ma petite fille ne me souille l’intérieur de mon véhicule. Par chance, rien n’a coulé, et c’est tout juste si elle a fait quelques bulles au moment où nous sommes passés sur un ralentisseur.
J’avais entendu dire que la municipalité organisait des balades en calèche qui partaient du parc des charmilles et je m’étais dis que cela pourrait être l’activité idéale pour une petite fille et son grand-père, d’autant que l’après-midi s’annonçait radieux. Nous trouvâmes rapidement un attelage, conduit par un jeune homme en contrat d’insertion handicap, assez simplet mais néanmoins très sympathique et serviable, qui me confia que nous étions ses tout premiers passagers et que c’était également la première fois qu’il allait exercer le métier de cocher. Après avoir fait les préparatifs d’usage et vérifié que notre monture avait été bien nourrie et hydratée, nous fûmes priés d’embarquer et nous prîmes la route tranquillement, pour un trajet découverte de la ville. Dès les premiers tours de roues, je dois dire que ce fut pour moi un véritable plaisir que de redécouvrir les rues d’Aigre au son des sabots de la jument, qui nous tractait efficacement.
Tout se passait pour le mieux quand vers la fin du parcours, notre chauffeur perdit le contrôle de son cheval, qui s’engagea dans la cour de la gendarmerie, sous le regard médusé des fonctionnaires, qui firent preuve néanmoins de compréhension, en s’abstenant d’ouvrir le feu. Pendant quelques minutes qui me semblèrent une éternité, notre cheval effectua plusieurs tours de parking, et nous nous enfoncions dans nos sièges, tellement la gêne se faisait sentir. Notre cocher qui avait lâché les rênes, me fit part de son intention de sauter en marche mais je l’en dissuadai immédiatement, de peur qu’un geste brusque soit mal interprété et qu’une bavure ne soit commise.
Enfin, la jument décida de rebrousser chemin et nous nous retrouvâmes de nouveau sur la route. Elle eut le bon goût de presser le pas, nous apportant au passage un petit flux d’air bienvenu qui sécha nos vêtements, tâchés par la transpiration causée par cette mésaventure. Mais subitement, alors que nous n’avions rien demandés, elle décida de se mettre au galop à tel point que l’on se retrouva même en excès de vitesse. Cette satanée bourrique nous fit alors une véritable conduite de fugitif en prenant la route à contresens, haletant bruyamment et doublant des voitures comme si nous nous venions de commettre un braquage, et je priais pour que nous ne causions aucun accident sur notre trajet. Bientôt, la bête ralentit sa course et entra dans l’allée d’un pavillon où le portail était ouvert. On l’entendait humer, signe qu’elle avait perçut quelque chose de comestible dans les environs, et elle se dirigea en trottinant vers des bégonias qu’elle dévora goulûment.
Nous profitâmes qu’elle soit occupée, pour déguerpir à grandes enjambées et j’invitai notre malheureux cocher à boire un café au centre ville, pour qu’il se remette de ses émotions.